5 janvier 2008

Lignes directrices / réalisation

Impermanence, légèreté, féérie de flocons tournoyant avec douceur ou frénésie… La neige se pose sur le monde comme un manteau de soie et de diamant, l’efface et le révèle autre, transfiguré par ces milliards de minuscules cristaux uniques et éphémères… Le paysage redevient un silence vierge, où les pas de nos protagonistes s’inscrivent comme un poème atemporel sur une page de lumière.


Par personnages interposés, ce film est un questionnement sur l’équilibre, un chant à la légèreté et à l’harmonie des relations à l’autre, vécue à travers et au-delà des tensions intérieures qui nous habitent, et qui, transcendées, sont la source de nos élans les plus forts. Lorsque la lutte intérieure est résolue, c’est avec le cœur léger que l’on passe enfin à l’action.

Les protagonistes agissent après une mûre réflexion qui a pu passer inaperçue dans leur entourage : ils paraissent fous, irresponsables, irréfléchis… alors que c’est tout le contraire.

Très présents à l’image, les costumes révèlent les personnages dans leurs relations avec la légèreté. Ils sont à la fois actuels et intemporels ; la ligne, la coupe, la matière — soie japonaise ou lyonnaise, jersey ou voile de coton, laine alpaga ou cashemire —, ou les broderies en font des œuvres à part entière. Suspendus à un portant, les costumes deviennent tableaux mouvants, vivants et colorés, prêts à répondre à la caresse du vent et aux jeux de lumières. Endossés, ils soulignent la psychologie de chaque personnage, et prolongent la manière propre à chacun de se mouvoir.

Les paysages de montagne jouent un rôle essentiel, car ils sont le cadre imposant où se jouent plusieurs moments particulièrement dramatiques du film : la chute vertigineuse de Neige et sa disparition ; la méditation solitaire du jeune Kyo lorsqu’il doit faire son choix définitif de carrière, contre les souhaits de son père ; lors d’une tempête, la découverte par Kyo du spectacle sublime de Neige prise dans un écrin de glace ; la décision sans retour de Kano de mourir auprès du corps retrouvé de sa bien-aimée. Propice à la contemplation, à l’humilité, le décor de haute montagne pétrit l’âme de ses habitants, qu’ils soient japonais ou européens, forgeant une connivence unique entre eux.

Ces décors font écho aux fastes évanescents du monde du spectacle, et au brio des villes et des belles demeures. Ils partagent aussi la simplicité austère et épurée des maisons japonaises — celle des parents de Kyo, celle de Kano — et leur souvenir fait vibrer autrement les jardins zen, quelques roches affleurant du sol, des brindilles calcinées et la glace accrochée aux branches des cerisiers.

Ce film traverse les relations singulières existant entre l’Europe et le Japon, aussi bien à travers les arts picturaux que la poésie et la littérature (Hiroshige, Utamaro, Basho, Ryokan, Issa, Muju, Ryunosuke, Kawabata, Mishima… mais aussi Balzac, Verlaine, Whistler, Van Gogh ou Baudelaire).

Les décors naturels, les architectures, les intérieurs seront choisis ou conçus dans ce même esprit : Neige est une histoire hors du temps. Comme le sont un tableau de Hokusaï, un poème de Baudelaire, un haiku de Ryokan, l’architecture de Katsura, un hôtel particulier parisien… et la féérie du cirque.

Entre ces différentes expressions va se tendre le fil qui va amener la jeune Française et le grand samouraï à s’aimer. Ces sources d’inspiration — aussi bien pour l’écriture du scénario que pour la réalisation du film — signent de même l’épanouissement du regard et de la sensibilité de Kano, de sa fille et du jeune poète.

Des mutations fondamentales ont lieu à la fin du XIXe siècle, aussi bien en Europe qu’au Japon, et les avancées techniques vont transformer le paysage (invention du béton armé par un Français, ligne de chemin de fer et télégraphe entre Tokyo et Yokohama…).

Ces transformations frappent les esprits, modifient la perception du temps, de l’espace, le rapport à la nature et au monde au-delà du visible. Le regard ultime, clef de bien des mystères dans le domaine de la création artistique, englobe ce devenir dans ce qu’il a de plus fondamental.

Un chemin se forme ainsi sous les pas des protagonistes car leur pied, bien que léger, est ferme : pourtant leur but n’est pas connu d’avance — l’intuition est leur guide, et ils ont appris à l’écouter dans le murmure du vent, dans le parfum d’une fleur, dans le sourire d’un saltimbanque, ou le pas d’un vieillard dans la neige.

Ce film est une occasion d’affiner ce regard de l’invisible, par un traitement à la fois actif et contemplatif, dans des décors qui favorisent cette attitude, avec une position de caméra à la fois introspective et active, amoureuse de la beauté de chaque instant.

La caméra filmera souvent à hauteur du cœur. Les gestes, les paroles, les actes révèleront au spectateur le sentiment et la profondeur des motivations — par-delà la peur, l’excitation, le ravissement ou la passion amoureuse, qui ne sont que fugaces sensations à transformer comme en alchimie en ce qui fait que la vie a quelque chose de secrètement grandiose.

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